lundi 27 juillet 2015

LAPONIE 2015

Préambule
Autant j’ai eu l’immense plaisir de faire, je dirais, non pas du vélo mais du karting mécanique avec mon tricycle de 2009 à 2011, autant par la suite, jusqu’à 2014, j’ai souffert avec le vélo couché à deux roues. Je ne me suis jamais vraiment habitué à cet engin à cause notamment des nombreuses chutes que j’ai connues durant cette période. Je ne me suis même pas rendu compte de la lente déformation du guidon de mon « Nazca Paseo », récemment redressé, qui était à l’origine de mon « mal-être » sur ce vélo car elle gênait considérablement le braquage et remettait en cause mon équilibre si fragile tout en rendant inconfortable la position assise. Ces chutes, produites presque toutes au ralenti, voire à l’arrêt, avaient aussi quelque peu modifié la géométrie du siège, si confortable pourtant, et du porte-bagage, le tout ayant été récemment réglé. Malgré sa lourdeur (21 kg) c’était un vélo confortable avec ses amortisseurs moelleux, son équipement de type VTT (trois plateaux, cassette 11-32, etc.), son siège très incliné offrant par sa position couchée, quoique irritante pour quelqu’un qui porte des verres progressifs, une vue panoramique ou je dirais « cinématographique », en référence à ce type d’écran de cinéma qui avait fait sensation et que ma génération avait découvert durant l’enfance. Subjectivement, je dois dire aussi que je ne garde pas que des bons souvenirs de la deuxième saison (Budapest-Constanta), ce qui a dû modifier les choses dans ma tête par la suite mais pas dans le bon sens.
Finalement, sans me séparer de ce vélo couché à deux roues revu et corrigé, je me suis acheté un vélo, si j’ose dire, « normal », tout carbone, léger, avec freins à disque hydraulique, deux plateaux à l’origine mais transformé en trois plateaux pour grimper dans de bonnes conditions, tout d’abord le terrain accidenté de la Sarthe et ensuite les voyages à venir dans le cycle des escapades d’été, en particulier celle qui se profilait pour la sixième saison : la Laponie. Quelque temps plus tard, Roselyne a décidé aussi de changer de monture, alors qu’elle aimait bien son Nazca avec lequel elle a toujours été à l’aise même pour affronter les côtes dépassant les 11 et 12 %. Je ne sais pas comment elle faisait mais elle les grimpait au ralenti (4-5 km/h), sans pour autant perdre son équilibre. Nous avons finalement décidé de nous séparer de nos vélos couchés et nous les avons mis en vente sur un site spécialisé. Un couple de la Savoie qui prépare un tour du monde à vélo avec leurs deux enfants de 7 et 9 ans s’est porté acquéreur.
Nous en sommes à notre quatrième saison sur les routes des pays du Nord. La première saison (en fin de compte, c’est la troisième de la série) nous sommes partis du Mans avec Maryvonne, notre amie de toujours, en suivant, autant que faire se pouvait, les bords de la Mer du Nord, pour aller jusqu’à la frontière danoise en passant par le nord de la France, la Belgique, la Hollande, le nord de l’Allemagne pour atterrir à l’île de Sylt. L’année suivante, nous sommes partis avec le fourgon aménagé de Maryvonne jusqu’à la frontière germano-danoise, point de départ du périple où nous avons laissé le véhicule. Nous avons longé la côte ouest du Danemark du sud au nord avant d’emprunter un ferry pour compléter le circuit au sud de la Norvège. L’année dernière Françoise s’est jointe à nous pour entamer la troisième saison nordique (cinquième de la série) pour traverser la Norvège de Bergen à Oslo en s’aventurant sur la mythique piste Rallarvegen et pour descendre par la suite jusqu’à Malmö en Suède. Cette fois-ci nous avions pris notre voiture qui était chargée comme une « bourrique ».
Pour cette quatrième saison dans les pays du Nord (sixième da la série), nous voulions faire la Finlande, du sud au nord, si possible jusqu’au Cap Nord mais cela n’était pas réalisable en une saison. Nous avions deux options : le sud du pays ou le nord. Maryvonne, pour des raisons personnelles, et Françoise, pour des raisons professionnelles, ne pouvant pas se joindre à nous pour cette saison, nous avons décidé de partir à deux comme au début et nous avons opté pour le nord. Le déplacement en voiture des deux derniers voyages ne nous avait pas laissé de bons souvenirs. Nous avons exploré d’abord la solution avion, mais elle s’est avérée trop compliquée et trop contraignante. Le train l’était tout autant. Nous avons finalement opté pour le déplacement en voiture. Ce fut dur et interminable : trois jours et demi de voyage, 3330 km parcourus avec des conditions de circulation, comme d’habitude exécrables pour traverser la Belgique, le Pays Bas et l’Allemagne en raison de l’intensité du trafic. Par contre, la traversée de la Suède, certes très longue (1600 km) ne fut pas difficile. Au terme de ce long voyage nous sommes arrivés à Rovaniemi au début de l’après-midi du 13 juillet. Nous sommes allés dans un camping très confortable à 6 km de Rovaniemi (120 m d’altitude d’après mon GPS, comme notre demeure au Mans), très agréable et confortable, à tel point que nous y avons séjourné durant deux nuits dans une cabane bien équipée avec draps et serviettes fournis !
Nous étions prêts pour le départ vers les routes du nord. La Laponie est en effet très peu peuplée et ses infrastructures routières sont limitées. Je ne parle même pas de pistes cyclables, quasi inexistantes sauf aux abords des rares villes, un grand changement par rapport aux autres pays du Nord de l’Europe.


Mise en bouche [Mercredi 15 juillet, premier jour de vélo : Rovaniemi-Korvalan (Tiainen), distance parcourue 62 km. pédalage 4h07 (durée totale du trajet 5h45), 235 mètres de dénivelé positif]
Ce matin (15 juillet), tôt (7h30), nous avons chargé nos montures et nous avons pris la fameuse route E75, fréquentée en particulier par des camions semi-remorques qui transportent du bois (par chance ils montaient à vide vers le Nord), des camping cars, des motos et des caravanes en quête du trophée « Cap Nord » et quelques autochtones en voiture, quasiment pas de cyclistes. La circulation n’est pas dense mais rapide, car, ici, sur les routes classiques bien dégagées, la limitation de vitesse est de 100 km/h ! Quand un semi, même vide vous double, c’est plus qu’impressionnant. Pourtant à part de rares exceptions, ils s’écartent énormément comme s’ils doublaient un véhicule normal. Pour que nous ne soyons pas dégoutés dès le premier jour, Roselyne a souhaité ne rouler que 62 km (le prochain camping se trouvait 60 km plus loin) et nous avons profité d’un camping au bord d’un beau lac (tous les campings sont situés au bord d’un lac ou d’un cours d’eau, il paraît qu’il y a plus de 180000 lacs en Finlande, d’après le « Guide du Routard !), mais habité par des moustiques pas du tout gentils. Cependant, il faisait un temps heureusement magnifique, très ensoleillé, quoique frais (12-13°). Alors que j’étais prêt à faire encore autant de km pour arriver à une ville qui a pour nom : Sodankylä (prononcez sodanculé ou sodanculâ), ce n’était finalement pas mal de ne faire qu’une demie-étape ! Nous avons fait la connaissance d’un couple suisse francophone et de 3 de leurs 4 enfants (des jeunes) qui nous ont donné pas mal d’informations utiles.


Le fil d’Ariane est momentanément rompu [Jeudi 16 juillet, deuxième jour : Korvalan-Peurasuvanto, 133 km., 7h25 (11h05), 569 m. d.p.]
Le paysage de la veille n’a pas beaucoup changé, c'est-à-dire, une route relativement plate, avec des courbes plus ou moins douces et beaucoup de faux-plats, bordée de part et d’autre par une forêt interminable assez dense, composée essentiellement de bouleaux, de saules et de sapins, probablement des épicéas, et de lieu en lieu, des lacs plus ou moins étendus, et partout, des moustiques qui attendent que tu t’arrêtes pour donner l’assaut. Si tu n’as pas pris la précaution de te pulvériser de la tête aux pieds avec des produits anti-moustiques, tu es mort ! Il faut vraiment vivre cette situation pour en parler, c’est très impressionnant, stressant, voire angoissant. Si, avant de mettre le nez dehors, tu as eu le bon geste, ils t’attaquent quand même mais ils dévient de leur trajectoire tout près de ton corps et tu as l’impression d’être entouré d’un scaphandre invisible, ou encore mieux, comme dans certain films de science-fiction, enveloppé d’un champ magnétique qui te protège, mais ils tournoient autour de toi pour trouver une faille, une fenêtre ouverte et ils y arrivent parfois, surtout chez Roselyne. Ces attaques incessantes de maudites hordes de moustiques vont durer jusqu’en Norvège.
Ce matin-là, en partant du camping Korvalan, en amont de Tiainen, nous avions repéré un camping à moins de 100 km, situé 30 km au-delà de la fameuse ville de Sodankylä, dans un village légèrement écarté de la E75 (Petkula). Arrivés sur place, pas de camping (on apprendra plus tard dans l’après-midi que la dame assez âgée qui tenait ce camping ouvrait ou fermait son établissement au gré de son état de santé). Ce jour-là, pas de chance… Nous avons voulu récupérer notre route en continuant sur le demi-cercle qui nous avait mené à Petkula, mais nous avons pris trop tôt une route située sur la droite, récemment asphaltée mais sans signalisation au sol. Ce n’est qu’au bout de quelques km que nous avons eu des doutes, en particulier, à travers mon GPS qui ne montrait aucune trace de cette route et, de plus, nous partions vers l’ouest au lieu du nord ! Nous sommes finalement arrivés au bout d’une impasse, au milieu de nulle part : « There is no road here ! This is a mine !», nous a dit un couple qui sortait d’un bâtiment flambant neuf situé derrière une barrière, au bout de la route, probablement cette mine ! Nous avons fait demi tour pour rattraper la fin de la demi-boucle et retrouver la route E75. Le prochain camping se situait 50 km plus loin, alors que nous avions déjà largement dépassé la centaine de km avec le bonus de 15 km. Nous nous sommes renseignés auprès du patron d’un café-restaurant-magasin de souvenirs (produits Sami) situé au bord d’un lac. « Il faut encore rouler une quinzaine de km pour trouver un complexe hôtelier (Kiveliön Kala) qui propose également des cabines », nous dit-il. Nous étions fatigués mais il fallait continuer car nous ne voulions pas faire de camping sauvage. Evidemment ce type d’établissement est bien, mais il faut y mettre le prix et c’est ce que nous avons fait, en louant une cabine bien équipée (kitchenette, toilettes, lavabo et draps et linge de toilette fournis –ce qui est rare dans les pays du nord pour ce type d’hébergement) ! Etant donné que nous avions largement dépassé le cercle polaire, nous n’étions pas stressés par la nuit qui, vous pensez bien, n’arrive jamais, mais par la fatigue qui était bien présente.
Depuis deux jours, les yeux rivés sur l’asphalte qui file sous nos roues, je me suis rendu compte que j’avais monté à l’envers les nouveaux pneus spécifiques de nos vélos. Installé à l’extérieur de la cabine, j’ai voulu les remettre à l’endroit, mais j’ai été attaqué par une nuée de moustiques très agressifs si bien que j’ai dû battre en retraite et les remonter à l’intérieur. La pression et la menace de ces bestioles était telle que, je m’en rendrai compte plusieurs jours après, un des pneus est resté monté à l’envers (sur ce type de pneu il y a un sens de rotation qu’il faut respecter). Après la douche, nous avons dîné dans notre cabine et nous nous sommes endormis rapidement, après avoir réglé le réveil à 6 heures, car le lendemain, encore une centaine de km nous séparaient du prochain camping dans la ville d’Ivalo.


La guerre est déclarée [Vendredi 17 juillet, troisième jour : Peurasuvanto-Ivalo, 105 km., 5h53 (9h56), 649 m. d.p.)]
Après une bonne nuit de sommeil dans des draps propres, nous avons repris la route vers 8 h du matin sous un soleil déjà bien haut. Le paysage commence à changer doucement : on commence à grimper davantage, et à connaître l’ivresse de la descente. Des collines apparaissent, des lacs d’altitude, mais nos moustiques sont toujours là. Dès le troisième jour, s’armer avec les produits anti-moustiques est devenu un geste tout à fait naturel ! Après la monotonie de la route parcourue jusque-là, il faut mériter la petite ville de Saariselkä, une station de ski située à plus de 300 mètres d’altitude (les sommets ici dépassent à peine les 450 mètres d’altitude !), à une trentaine de km d’Ivalo. Tout a changé : le paysage, la faune et la flore. Autant la montée était douce, autant la descente vers la ville de notre destination est raide et donc rapide, parfois trop rapide, et on a bien apprécié nos freins à disques hydrauliques ! Arrivés aux portes d’Ivalo, à la réception du camping, le couple devant nous ayant loué la dernière cabine, nous nous sommes contentés de notre tente que nous avons montée à côté d’un fourgon immatriculé en GB, à l’intérieur duquel se trouvait un couple, à première vue, légèrement plus âgé que nous. Pourquoi parler d’eux ? Parce qu’il ont occupé dans la minuscule et unique cuisine du camping les deux réchauds et la bouilloire. On a voulu demander combien de temps ils allaient occuper tous ces appareils. Réponse : « ten minutes », aucune construction de phrase, pas un regard, bref, aucune politesse !. Nous avons attendu plus que cela et je remarque que les deux plaques électriques étaient réglées au minimum. Bref, on s’est trouvé dans une fâcheuse situation. D’autant que les jeunes filles de la réception, très serviables et gentilles, nous avaient signalé qu’il y aurait une soirée musicale dans leur deuxième restaurant situé à l’extérieur. Vous pensez bien que dans la nuit, qui n’en est pas une, nous n’avons pas bien dormi. Heureusement, une étape plus courte nous attendait le lendemain.


Mars attaque [Samedi 18 juillet, quatrième jour : Ivalo-Kaamanen, 71 km., 4h17 (6h51), 494 m. d.p.)
Oublié le couple britannique, oublié la musique de « nuit », oubliée la fraîcheur de nuit, après le petit déjeuner dans la minuscule cuisine, nous avons repris la route vers 9h., direction Inari, puis un camping-hôtel qui se situe au carrefour de l’E75 qui monte vers le nord et de l’E6 qui part vers l’ouest et le Cap Nord (tout près de la localité Kaamanen). Après le col de plus de 350 mètres de la veille, une route relativement vallonnée nous a menés jusqu’à la petite ville d’Inari avec ses boutiques de souvenirs (essentiellement tournés vers la culture Sami) et ses commerces pour les touristes en car et les camping caristes qui font leur stock de nourriture et alcool, car la vie en Norvège est relativement chère. La ville se situe au bord d’un lac immense (Inarijarvi, 118 m d’altitude) qui déverse ses eaux dans la mer de Barents, à travers d’innombrables lacs en cascade qui communiquent entre eux, (en réalité vers de nombreux fjords situés autour de Kirkenes, la ville la plus à l’est de la Norvège !). Sur le port, nous avons même vu un catamaran à côté de toute une flottille de bateaux petits et grands, plutôt sans qu’avec voile. Nous avons alors essayé d’imaginer l’aspect que prendra le paysage, une fois le lac gelé. Mais ces maudits moustiques nous interdisaient de rêver en nous attaquant de toute part ! Nous avons déjeuné debout, en nous agitant pour les chasser, car nos scaphandres anti-moustiques n’avaient plus d’effet ! Nous avons repris la route dans la précipitation et avons entamé une longue montée jusqu’à notre destination.
La patronne du camping nous a proposé une chambre dans le bâtiment de la réception, en fait sa propre maison. A l’étage, il y avait trois chambres, un grand salon, une douche bricolée et une kitchenette équipée. Faute d’autres clients, tout l’étage était pour nous. Et nous nous sommes bien reposés et avons bien dormi, à tel point que nous étions en retard pour le petit déjeuner prévu à 7 heures que la propriétaire (on suppose) des lieux, une petite femme, timide mais très serviable, avait réussi à nous vendre la veille, mais pas la location des draps.


Aux portes de la Norvège : [Dimanche 19 juillet, cinquième jour : Kaamanen-Karigasniemi, 73 km., 4h11 (6h29), 686 m. d.p.]
Le lendemain, nous avons repris la route vers 9h30., par un temps couvert. Ça y est, nous sommes désormais sur la route du Nordkapp , qui suit fidèlement le relief, donnant au parcours des allures de montagnes russes ! C’est amusant, voire excitant, lorsque l’on descend mais aussitôt, il faut grimper des côtes pas très longues mais à 8, 12, voire 13 ou 14% on ne rigole plus, il faut cravacher dur pour franchir les derniers mètres avant d’attaquer les suivantes immédiatement. De 110 m, nous sommes montés jusqu’à 350 m. de dénivelé et ce, à maintes reprises. Les 5 camping caristes français, amis des chiens (dans chaque camping car il y avait deux chiens de secours en milieu aquatique), que nous allons rencontrer le lendemain nous féliciteront pour cet exploit ! Pourtant, d’après mon GPS, nous n’avons pas grimpé autant de dénivelé positif que l’on croyait. A mi-chemin, nous avons attaqué un plateau, certes légèrement vallonné, qui nous a amené à un café-restaurant-réception de camping situé au milieu de nulle part, pas d’habitations aux alentours ni de carrefour, cependant très pittoresque, vu de l’extérieur. A l’intérieur du bâtiment, on se serait crus dans la caverne d’Ali Baba, cependant bien ordonnée. Sur les murs étaient accrochés des tas d’objets rappelant la culture Sami, dont une peau d’ours, sur les tables étaient présentés des souvenirs de toutes sortes. Lorsque nous avons commandé nos boissons chaudes, le vieux monsieur derrière le comptoir, très gentil, très accueillant, très souriant, nous a fait comprendre d’un geste que c’était en self service. Vu l’ambiance familiale de cet établissement, on s’est dit qu’on aurait bien voulu y séjourner et on l’a même noté sur son livre d’or. Hélas, nous n’avions fait que quelques dizaines de km. Peu avant notre départ, il est venu avec dans ses mains deux écussons de son établissement qu’il a voulu coller lui-même sur nos sacoches, et un guide prospectus en anglais sur le nord de la Norvège. Il nous a assuré que la route était désormais moins accidentée (il avait tort), qu’elle descendait doucement jusqu’à la frontière (alors qu’on monté davantage que le matin) et qu’à l’arrivée à Karigasniemi (ville frontalière), la descente était très pentue. Sur ce dernier point, il avait raison (pour l’instant j’y ai battu mon record de descente, avec nos bardas en plus : 62 km/h !) Arrivés au seul camping du village, nous avons loué une cabine. En plein milieu du camping se trouvait un barbecue et une fumoir avec un tas de bois mis à disposition. On avait la possibilité de faire des grillades, et même de fumer de la viande ou du poisson (j’ai utilisé les deux procédés). Dans ce petit village frontalier, il y avait aussi deux supermarchés destinés aux touristes mais surtout aux norvégiens qui y font leur approvisionnement en nourriture et en alcool, les plaques d’immatriculation des véhicules sur le parking en étaient témoin.


C’est bien la Norvège Lundi 20 juillet, sixième jour : Karigasniemi-Skoganvarre (Norvège), 70km., 4h21 (7h04), 529 m. d.p.]
Ça y est, nous changeons aujourd’hui de pays, tout en restant en Laponie qui s’étale au nord de quatre pays : Norvège, Suède, Finlande et Russie. C’est la rivière Deatnu (Tana), déversant ses eaux au nord à Tanafjorden qui marque la frontière entre les deux pays. Les frontières au nord de la Finlande ont été modifiées à la suite de la deuxième guerre mondiale, privant la Finlande du contrôle de toute une partie du nord de la Laponie, et d’un accès à la mer, au bénéfice des Norvégiens qui avaient combattu les Nazis. Encore une petite descente vers le pont et on est en Norvège. Le paysage change tout de suite, le relief est relativement accidenté, le moindre terrain gagné ici et là est exploité, les fermes sont plus visibles, les maisons mieux aménagées. De plus, la route grimpe plus longtemps qu’en Laponie finnoise avec des pentes plus longues et l’inclinomètre du GPS le montre bien. A mi-chemin, nous croisons une jeune cycliste autrichienne sur un petit espace de parking où elle fait une pause pour terminer la longue côte que nous commencions à descendre. Figurez-vous qu’elle fait des études de sociologie ! On échange quelques informations et on lui souhaite bonne continuation dans le long périple qu’elle vient de commencer à partir d’Alta (où elle est arrivée en avion) pour descendre, en trois à quatre mois, vers le sud en traversant la Finlande, les Pays Baltes, la Pologne et l’Allemagne, avant d’arriver dans son pays ! Pour nous adapter à la géographie physique de la Norvège, nous décidons de nous arrêter tôt et nous nous installons dans un camping situé à nouveau au bord d’un lac et nous prenons encore une cabine, chère, très chère par rapport aux services proposés. Bienvenue en Norvège.


Souvenirs, souvenirs Mardi 21 juillet, septième jour : Skoganvarre-Stabbursnes, 42km., 2h39 (4h04), 284 m. d.p.]
Habituellement, au bout de six jours de pédalage, nous prenons une journée de pause. La veille sur nos cartes nous avons repéré un camping à 40 km et avons décidé de faire une demie étape. Nous avons commencé à nous poser des questions sur la faisabilité de continuer notre périple jusqu’au Cap Nord. Sur les derniers 130 km., il faut prendre plusieurs tunnels dont un qui passe sous la mer pour accéder sur l’ile de Magerøya. D’après le témoignage sur le Net d’un savoyard la descente et la remontée y sont très raides. On cherche alors sur la toile et dans les points d’information pour touristes une solution de transport en car, en vain ! Nous décidons de nous renseigner au carrefour des E6 et E69 qui monte vers le « Nordkapp ».
Tout au long de notre périple, les conditions d’hébergement vont déterminer la longueur de nos étapes. Lakselv, petite ville située au fond d’un bras de mer (ou d’un fjord ?) appelé Porsangen, disposant même d’un aérodrome, est un carrefour important entre les routes de la Finlande, du Cap Nord et de Kirkenes, ville la plus à l’est de la Norvège, tout près de la Russie. Au nord de celle-ci se trouvent trois immenses presqu’îles quasiment inhabitées qui sont entrecoupées par trois fjords assez longs. En définitive, Lakselv est un point stratégique, une sorte d’oasis où l’on peut se ravitailler notamment, dans le grand nord scandinave si perdu, si éloigné. En quittant Lakselv aux alentours de midi, nous avons tout de suite longé la côte à l’ouest de Porsangen et j’ai reconnu instantanément l’aire de repos où nous nous étions arrêtés avec notre camping car en 2003, où nous avions rencontré Rose-Marie, ornithologue Suisse, qui voyageait avec sa petite voiture sur laquelle était fixée une tente escamotable, qui était d’ailleurs devenue une attraction pour les touristes en car, en route pour le Cap Nord. Pourtant, ce lieu sympathique n’avait rien de particulièrement attirant, à part ses toilettes sèches que nous avons toujours évité de fréquenter. Peut-être était-ce le souvenir de notre premier voyage il y a douze ans avec le camping car, Rose-Marie, ou notre premier soleil de minuit ? Et pourtant beaucoup de cars, de camping cars et d’automobiles font une halte sur ce parking.
Pour éviter une étape très longue le lendemain, nous sommes arrivés assez tôt au camping, comme prévu, car nous n’avions pédalé qu’une quarantaine de km, ce qui nous a permis de prendre une demi-journée de pause, pour notamment faire la lessive. Dans le camping, deux jeunes maîtres verriers ukrainiens, étudiants en beaux arts à Donetsk, posaient des vitraux dans une chapelle en bois érigée en plein milieu de notre terrain de camping. La réception était tenue par une jeune femme russe et le gérant était d’origine étrangère, probablement appartenant à une des minorités de Russie. Le nord de la Norvège prend déjà des allures de melting-pot ! d’après le témoignage d’un cycliste américain, on trouve encore plus au nord des réfugiés kosovars, de l’ouest africains…


Rencontre fortuite Mercredi 22 juillet, huitième jour : Stabbursnes-Oldernes, 77km., 4h43 (8h01), 705 m. d.p.]
Le matin de ce huitième jour, nous sommes partis tôt, (en fait plus tôt que nous le croyions, nous allions le comprendre le lendemain). Ce matin-là, il faisait froid, sensation amplifiée par le vent de face qui soufflait pourtant modérément. Hier soir, en consultant notre carte, on pensait que la route qui longeait la mer serait facile. Détrompez-vous, on montait et on descendait sans cesse, on quittait le bord de la mer pour prendre un col de 200 m., une autre un peu plus, une autre un peu moins. Lorsque l’on pédalait au bord de l’eau, l’effet de l’humidité combinée avec le vent me rappelait les vacances de neige en altitude et vous savez, ce froid qui commence à traverser votre corps et le bout de vos doigts qui commence à geler ! Cette sensation sera confirmée par la motarde savoyarde que nous allons rencontrer durant la pause du midi dans la station service du carrefour des E6 et E69. Enfin, pendant les derniers kilomètres, en virant vers l’ouest, nous avons eu brièvement le vent dans le dos: on était emporté, on sentait moins le froid et l’humidité. Arrivés à ce carrefour, avec ses magasins de souvenirs et ses restaurants, nous avons fait nos courses dans une des stations services et nous voulions pique-niquer dehors à une des tables mises à disposition mais nous avions tellement froid avec ce vent venu de la mer que nous avons demandé s’il était possible de consommer nos victuailles à l’intérieur. Nous nous sommes installés dans le petit salon de cette station service, à côté des toilettes, à la seule table disponible. De fait, on ne passait pas inaperçus et on voyait les gens défiler vers ce coin des commodités. C’est comme cela que nous avons fait la connaissance de Patricia, motarde BMW’iste, selon ses propres termes. Nous ayant entendus parler en français (au moment où Roselyne prononçait le nom de la ville La Rochelle), elle a tout de suite réagi en français. En faisant la queue, Patricia nous a tenu compagnie, laissant passer tout le monde devant elle. La conversation a duré au moins une demi-heure, sinon plus. On a parlé des 24 heures motos, des motards et motardes, du pays, de la Savoie, du Cap Nord, des routes, des moustiques qui s’attaquent à nos fesses lorsqu’on est obligé de faire ses besoins dans la nature. Bref, ce n’était pas un monologue mais un vrai dialogue avec des répliques, des rires, des étonnements. Parfois ce type de rencontres si éphémères, si spontanées créent de la confiance, de l’amitié, de la sympathie voire de l’empathie. Nous nous sommes invités mutuellement, elle a pris notre mail et nous avons quitté la station ensemble. Cependant, nous n’avons pas trouvé de solution pour faire une escapade en car au Cap Nord (à 130 km de là) pour voir le soleil de minuit que nous avions contemplé il y a 12 ans exactement. Le voyage en vélo étant risqué et long, la route étant chargée, il nous fallait au moins 4 jours pour couvrir les 260 km aller-retour, avec les tunnels et des dénivelés importants, plus un jour sur place. Nous y avons renoncé et je me suis contenté d’acheter un autocollant du Cap Nord que j’ai fixé tant bien que mal sur le cadre de mon vélo avec émotion et précipitation mais aussi avec un léger sentiment de culpabilité. Nous avons pris la direction d’Alta et, après 25 minutes de pédalage en grimpant une longue côte fatigante, nous avons amorcé la descente vers Oldernes, parcourant un paysage magnifique : montagnes à moitié pelées, où seuls poussent quelques bouleaux et saules nains, les névés que nous apercevions de loin sont désormais tout près. Dans le camping de Repparfjord à Oldernes, nous avons beaucoup apprécié la chambre qui nous a été proposée à un prix raisonnable.


Coucher de soleil sans Cap Nord [Jeudi 23 juillet, neuvième jour : Oldernes_Øvre Alta, 98km., 6h05 (9h46), 943 m. d.p.]
Nous avons attaqué notre neuvième jour sans véritable pause, tôt le matin. Sur la route d’Alta, pourtant importante (la seule qui mène vers le nord), il y avait très peu de circulation. C’est là que nous avons réalisé que nous étions toujours à l’heure finlandaise. Nous nous étions donc levés à 5h du matin, pas étonnant que tout le monde dormait au camping ! Nous avons entamé une longue montée qui suivait une vallée, si l’on peut dire ainsi car le terrain est tellement accidenté que cette vallée de Repparfyord ne ressemble à aucune autre. Malgré la montée soutenue, je me sentais heureux, émerveillé devant cette nature, ce paysage, ces collines, ces cours d’eau en cascade, ces névés, cette végétation luxuriante, ces torrents, impressionnants parfois. J’ai pensé alors au voyage des saumons de l’Atlantique qui remontent ces eaux si limpides, si claires, si rapides et aux pêcheurs qui les attendent au tournant. Je l’ai toujours répété à mes amis, la Norvège est le plus beau pays du monde… quand il fait beau et ensoleillé. Et nous avons de la chance, il fait beau aujourd’hui, on n’a qu’à pédaler pour arriver une centaine de km plus loin. A un tiers de la route, nous nous sommes trouvés sur un plateau très exposé aux vents du nord et du sud, les bouleaux sont à moitié desséchés, seules les extrémités supérieures des branches sont feuillues. C’est un paysage désolé, chaotique, traversé par cette rivière qui porte ses eaux vers l’Atlantique au fond du Repparfyord. Après une autre montée toujours lente et douce nous avons attaqué un deuxième plateau, comme le premier, parsemé par des habitations (des cabanes et de belles maisons), d’été probablement. On trouve même au beau milieu de ce « no man’s land » une chapelle ! La rivière perd de sa puissance, elle devient un vulgaire cours d’eau ! Depuis ce long plateau, on voit loin. La veille, au camping, un jeune cycliste allemand avait évoqué cette route, en accompagnant ses paroles de gestes dignes d’un chef d’orchestre symphonique dirigeant une valse, dérivant ses pentes et ses montées douces et longues et son panorama. J’ai mieux apprécié ses explications poétiques en parcourant cette dernière. Une fois passé un col à plus de 400 m., et c’est une altitude très respectable ici, dans ces montagnes qui ont l’aspect des Alpes mais plus basses ou plutôt écrasées, le paysage désolé a radicalement changé. A côté des bouleaux et saules plus vigoureux, on trouve beaucoup de conifères formant des forêts denses. Les sommets des collines sont plus pointus. Un lac d’altitude apparait devant nous avant d’arriver sur les bords de l’Altafjorden au fond duquel se trouve justement la ville d’Alta. Une drôle de ville de vingt mille habitants qui s’étale sur une dizaine de km. Nous commençons à sentir dans nos muscles les montées et les descentes de la journée. Le camping que nous avions repéré se trouve au sud ouest de la ville, au bord de la route qui nous ramènera vers la Finlande. Nous avons donc décidé de faire la pause hebdomadaire que nous voulions prendre depuis plusieurs jours. Cependant, malgré la fatigue, vers 11h du soir, nous avons pris nos vélos pour contempler le « coucher » du soleil au bord de la mer, en ville, à 5 km. de notre camping. Nous ne nous sommes pas trop attardés car nous savions que le soleil disparaitrait derrière les montagnes imposantes des nombreuses îles du fjord d’Alta et que nous ne pourrions pas véritablement voir le soleil à minuit.
Le lendemain, le jour de repos nous a permis de remettre à jour nous carnets de notes et de nous reposer presque sans vélo, car dans la journée nous sommes retournés à la ville pour faire des courses pour les jours à venir. Nous avons préféré la pause à une visite du Musée d’Alta, très intéressant sur la civilisation viking, que nous avions visité il y a douze ans. A part cela, le camping où nous étions est un lieu de passage pour les « pèlerins » du dieu soleil éternel (en été) du Cap Nord. A Øvre Alta il existe trois campings, mais ils font apparemment le plein tous les jours : cabanes, emplacements de camping-cars et de caravanes et même de tentes étant toujours occupés, ce que nous avons pu observer en restant plus de 24h sur place.


Direction le Sud [Samedi 25 juillet, dixième jour : Øvre Alta-Masi (Máze), 69 km., 4h21 (6h04), 746 m. dp]
Les jours commencent à se ressembler. Partis du camping le matin vers 8 h, nous avons entamé une longue et douce montée, la végétation est dense et variée, jusqu’à ce qu’une signalisation nous annonce une montée à 8% durant 6 km. On voyait déjà de loin cette partie de collines infranchissable. Nous avons pénétré dans une gorge étroite : d’un coté de la route, la rivière (un rapide en fin de compte) et de l’autre une paroi verticale dont le panneau de signalisation en amont indiquait l’éventuelle chute de pierres ! En réalité les 8% correspondaient à une moyenne, je l’ai compris lorsque le pédalage est devenu très tendu ( exécuté en 30*30) et que mon GPS indiquait 11 à 12% de pente ! Un peu plus loin, sortis de cette montée abrupte, nous avons pédalé au bord d’un lac d’altitude durant plusieurs km, comme si on était sur du plat et nous avons avalé, sans coup férir, les petites montagnes russes. Hélas, les moustiques ont refait leur apparition à chaque pause ! Arrivés à plus de 350 m. d’altitude, le paysage a à nouveau changé : les conifères ont disparu, il n’y a que des bouleaux et saules , moins vigoureux sur les hauteurs. Nous avons commencé à nous inquiéter de savoir si nous allions trouver un lieu d’hébergement dans ce coin perdu de la Laponie norvégienne, sinon nous serions obligés de nous farcir 130 km. D’après notre carte assez détaillée, il y avait un établissement à mi-chemin. Donc le choix était fait : dans la petite localité qui s’appelle Masi ou Máze. Malgré l’absence de signalisation, on descend au niveau de la rivière où se trouve le charmant petit village mais il faut rebrousser chemin et remonter sur la route 93 car c’est là que se trouve le camping signalé sur la carte. Il s’agit d’un hébergement uniquement avec des cabanes très ordinaires, la dame de la réception ne parle pas du tout de langue étrangère. Dès notre arrivée, les moustiques nous ont attaqué avec détermination, nous nous sommes aussitôt réfugiés dans cette petite cabane sans charme et sans aucun confort. Par contre, on trouve des sanitaires impeccables, les meilleurs à ce jour. Il y a peu de clients, seuls quelques pêcheurs autochtones qui ont laissé le sauna encore en fonction et j’en ai profité : pour la première fois de ma vie, j’ai transpiré durant une demi-heure dans un sauna ! On se dit avec Roselyne que dans les prochains jours on s’en paie un.

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